Dispense de versement du précompte professionnel pour le travail en équipe : Le nouveau régime "bis" offre des possibilités aux entreprises où le travail en équipe est asymétrique

 May 14, 2024 | Blog | BE Law

Synthèse

  • L'article 2755 du Code des impôts sur les revenus de 1992 (CIR92) prévoit en faveur des entreprises qui organise du travail en équipe une dispense de versement du précompte professionnel correspondant à 22,8% des rémunérations imposables des travailleurs éligibles.
  • Pour être qualifiée entreprise où est organisé du travail en équipe, l'une des conditions est que les équipes doivent effectuer le même travail « quant à son ampleur ». Cette condition soulève régulièrement des divergences d'interprétation entre les contribuables (qui considèrent que l’ampleur du travail doit être similaire) et l'administration fiscale (qui requiert une ampleur de travail identique).
  • La loi du 2 mai 2024 portant des dispositions fiscales diverses (FR | NL) introduit un régime "bis" qui élimine cette difficulté en rendant possible l’application au prorata de la dispense de versement du précompte professionnel en faveur des entreprises où le travail en équipe est réparti de manière asymétrique entre les équipes successives.
  • Cette modification législative permet à davantage d'entreprises qui organisent du travail en équipe de bénéficier de l’incitant fiscal, mais soulève de nombreuses questions.

 

Contexte de la modification légale

Les entreprises qui organisent du travail en équipe et qui attribuent une prime d'équipe bénéficient d'une dispense de versement au Trésor d'une partie précompte professionnel retenu sur les rémunérations des travailleurs concernés.[1] Cette mesure de soutient fêtera bientôt ses vingt ans.[2]

Au fil des ans, cette mesure a gagné en importance. À l'origine, elle s’élevait à 1% des rémunérations imposables des travailleurs en équipes admissibles. Ce pourcentage a depuis été régulièrement augmenté et s’élève actuellement à 22,8%.

Les rapports de la Cour des comptes de 2019 et de 2023 ont souligné l’inflation significative des coûts annuels pour l'État belge, ainsi qu’un manque de maîtrise des coûts et le déficit de contrôles fiscaux ciblés. La Cour des comptes a recommandé de clarifier dans la loi la notion de travail en équipe car le flou du concept engendre de nombreuses discussions durant les contrôles fiscaux et est une source d’incertitude juridique pour les contribuables.

Cependant, lors de l'adoption de la loi du 28 mars 2022, qui a profondément réécrit l'article 2755 CIR92, l'occasion de clarifier la notion de travail en équipe n'a pas été saisie, en raison d’un manque de consensus politique sur la manière de le faire dans le respect de la neutralité budgétaire et sans limiter considérablement les possibilités d'application de la mesure de soutien.

Les litiges consécutifs aux interprétations divergentes entre les contribuables (interprétation « large ») et l'administration fiscale (interprétation « stricte » ou « littérale ») sont de plus en plus nombreux. Un tel litige a conduit à une décision de la Cour constitutionnelle le 8 février 2024 sur question préjudicielle de la Cour de cassation. Cette décision confirme que l'interprétation stricte adoptée par l'administration fiscale n'est pas contraire à la Constitution, ce qui signifie qu'elle est admissible et ne doit pas être rejetée. Cependant, cela ne signifie pas que cette interprétation stricte doive nécessairement prévaloir, car une autre interprétation (l'interprétation large) n'est pas exclue.

Il appartient maintenant à la Cour de cassation de décider si l'interprétation large (soutenue par les contribuables et admise par la Cour d'appel d'Anvers) constitue une application correcte de la loi fiscale.

Cette décision de la Cour constitutionnelle a suscité de vives inquiétudes auprès des employeurs qui organisent du travail en équipe et pour qui la mesure de soutien est essentielle afin de préserver leur compétitivité. Ces entreprises craignent en effet que l'administration fiscale se renforce dans l’idée sur base de cette décision de la Cour constitutionnelle d’appliquer les dispositions légales à la lettre, à tel point que cela aboutirait à des rejets disproportionnés même auprès des entreprises dans lesquelles il est indéniablement question de travail en équipe.  

Dans ce contexte, le gouvernement a pris l'initiative d'introduire un régime temporaire "bis". Ce régime "bis" vise à fournir une solution aux employeurs qui sont désireux de bénéficier de la mesure de soutien mais chez qui le travail est réparti de manière asymétrique entre les équipes successives. Une telle situation entraînerait en effet un rejet complet de la dispense de versement du précompte professionnel par l'administration fiscale lors des contrôles fiscaux si l’on devait appliquer l'interprétation stricte de la disposition légale.

 

La condition selon laquelle les équipes doivent effectuer le même travail quant à son ampleur conduit régulièrement à des conflits entre les contribuables et l'administration fiscale.

Les conditions pour être considéré comme une entreprise qui organise du travail en équipe semblent à première vue relativement simples :[3]

  1. Le travail est effectué en au moins deux équipes comprenant au moins deux travailleurs ;
  2. Les équipes effectuent le même travail « tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur » ;
  3. Les équipes se succèdent sans interruption dans le courant de la journée, avec une tolérance pour une interruption maximale de 15 minutes entre deux équipes consécutives ;
  4. Il n'y a pas de chevauchement de plus d'un quart de leur tâches journalières entre les équipes successives.

Ces conditions en apparence simples ont cependant été l'objet de plusieurs modifications législatives, de circulaires administratives, d'une FAQ publiée et de plusieurs décisions des cours et tribunaux ces dernières années. En particulier, la deuxième condition, selon laquelle les équipes doivent effectuer le même travail « tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur », constitue un point de litige entre l'administration fiscale et le contribuable. Dans de nombreux cas, l'administration fiscale adoptait une lecture stricte de la disposition légale, affirmant notamment que l’ampleur de travail devait être identique et non simplement suffisamment comparable. Cela résultait régulièrement dans des rejets lors des contrôles fiscaux.

L’affaire concernant un exploitant de bus de transport en commun et de transport scolaire de la Société flamande de transport public (De Lijn) illustre précisément la problématique d'interprétation de la notion « travail de même ampleur » des équipes successives.

Cette entreprise appliquait la dispense de versement du précompte professionnel relative aux rémunérations des chauffeurs. La Cour d'appel d'Anvers a pris en compte la durée de travail par équipe comme critère pour évaluer si l’ampleur de travail était la même (Anvers, le 19 janvier 2021, arrêt final) :  « Ainsi, le volume des services de bus peut être mesuré en fonction de la durée totale travaillée quotidiennement par une équipe. Lorsqu'il est ainsi établi que l'équipe du matin travaille trois heures de plus au total que l'équipe de l'après-midi/du soir, le volume n'est pas comparable ». La Cour a constaté que seules certaines lignes satisfaisaient à ce critère pour ouvrir le droit à la mesure de soutien.

 

En résumé, la Cour d'appel d'Anvers affirme qu'il suffit que la durée totale travaillée quotidiennement par les équipes soit comparable pour satisfaire à la condition de « travail de même ampleur ». Dans ce cas, la dispense de versement du précompte professionnelle doit être accordée.

Cependant, l'affaire n'en est pas restée là. L’état belge a introduit un pourvoi en cassation en soutenant que la Cour d’appel faisait une application erronée de la loi fiscale en admettant un travail d’ampleur « comparable » (et non identique) alors que la loi stipule que les équipes doivent faire le « même » travail. La Cour de cassation a dans ce contexte décidé de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle pour vérifier si l’interprétation stricte (littérale, « même signifiant « identique » et non pas « comparable ») est discriminatoire. (Cassation, le 31 mars 2024, arrêt intermédiaire) :

« L'article 275/5 du CIR92 viole-t-il le principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination en ce que les entreprises (…) où les équipes successives font le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur (…) peuvent bénéficier de la dispense, alors que les entreprises dont les équipes effectuent un travail dont l’ampleur est comparable et répondent pour le reste aux mêmes conditions ne peuvent pas (…) bénéficier de la dispense » ?

La Cour constitutionnelle a jugé le 8 février 2024 que l'interprétation stricte de la loi, à savoir le volume de travail identique, créait une discrimination justifiée et acceptable compte tenu de l'objectif de cette mesure et de son impact budgétaire. Cela signifie qu'une interprétation stricte (identique), comme soutenue par l'administration fiscale, n'est pas contraire à la Constitution. Cependant, cela ne signifie pas que l'interprétation plus large (suffisamment similaire), comme adoptée par la Cour d'appel, ne serait pas acceptable.

Concrètement, la Cour de cassation devra maintenant décider si l'interprétation plus large, telle qu’appliquée par la Cour d'appel dans cette affaire, était conforme à la loi.

Cette décision de la Cour constitutionnelle a provoqué une grande inquiétude chez tous les contribuables ayant actuellement des dossiers ouverts concernant le travail en équipe ou souhaitant bénéficier de l'exonération pour le travail en équipe. Comme l'a souligné le ministre des Finances lui-même, cela "a souligné cette incertitude et a menacé de miner complètement l'application du régime."

 

Le nouveau régime "bis" offre une solution sous forme d'application pro rata de la mesure de dispense

Afin d'offrir une certaine sécurité juridique aux entreprises souhaitant bénéficier de ce régime et de maintenir la compétitivité de la Belgique, le législateur a inséré un nouveau paragraphe 1/1 à l'article 2755 CIR92.

Cependant, il est regrettable que cette modification législative ne résolve pas définitivement tous les problèmes d'interprétation. Ainsi, la condition selon laquelle les équipes successives doivent effectuer le même travail « quant à son objet » peut encore conduire à des litiges et à des interprétations divergentes. Une réforme complète de la mesure fiscale sera pour la prochaine législature :

« Idéalement, une réforme de la dispense de versement du précompte professionnel pour travail en équipe devrait être élaborée par le gouvernement à court terme. En raison du temps limité qui reste jusqu’au terme de la présente législature, une telle réforme est irréalisable endéans le temps qui est encore imparti au présent gouvernement. »[4]

En ce qui concerne la condition de travail de même ampleur, la modification législative donne aux entreprises la possibilité de choisir un régime « bis » lorsque l’ampleur du travail est répartie de manière asymétrique entre les équipes successives :

  1. Les entreprises peuvent appliquer la dispense même si l’ampleur du travail des équipes successives n’est pas égale. Ainsi, l'exigence d’un « travail de même ampleur » n'implique pas nécessairement un volume de travail « identique ». L'asymétrie du volume de travail est admise et intégrée dans les règles de calcul de la dispense comme suit :
  1. Le montant de la dispense est calculé sur le total des rémunérations des travailleurs en équipe selon le taux de 22,8 % ;
  2. Ensuite, pour chaque jour de travail en équipe dans ce mois, l’on détermine l’écart en ampleur du travail des équipes qui se succèdent en fonction de l'équipe ayant la plus faible ampleur de travail (A), ainsi que l’ampleur total de travail effectué par les équipes successives (B) ;
  3. L'écart d’ampleur du travail pour ce mois est ensuite déterminé par le rapport A/B.
  4. Le montant ayant été obtenu à la première étape (voir 2.a.) est réduit par le pourcentage obtenu à la troisième étape.

Cela signifie qu'un nouveau régime « bis » de dispense est créé, avec une approche proportionnelle, lequel coexiste avec le régime « tout ou rien » que l’on connaissait jusqu’à présent et qui demeure applicable.

  1. Il ressort des travaux parlementaires qu’il ne peut être question de travail en équipe que s’il y a une certaine mesure de collaboration pour l’exécution du même travail.[5] Les travailleurs qui font ensemble le même travail en tant qu’équipe ne devrait pas simplement être répartis en plus petites équipes dans le but de maximalisation de la dispense de versement de précompte professionnel pour travail en équipe. Une répartition artificielle d'un groupe de travailleurs en plus petites équipes avec pour but de maximaliser la dispense pourrait même être considérée comme un abus fiscal.
  1. Cette modification législative ne constitue pas une interprétation de la disposition existante (qui reste inchangée), mais introduit un régime « bis » qui s'appliquera aux rémunérations payées ou attribuées jusqu'au 31 décembre 2026. Ce régime « bis » (temporaire) n'implique donc pas implicitement une confirmation ou infirmation de l'interprétation stricte de la condition de « travail de même ampleur » pour les entreprises qui n'optent pas pour ce nouveau régime « bis » :

« L'introduction de la modification reprise dans l'amendement n’a pas pour conséquence que la dispense pour travail en équipe en vigueur soit désormais évaluée de manière rigide. L’objectif n'a jamais été qu’une ampleur égale du travail doive, dans tous les cas, littéralement se manifester dans la réalité comme étant d’une ampleur identique. Il n’est par exemple pas exclu que si, dans un environnement de production, une équipe du matin de 100 travailleurs est suivie par une équipe de 95, il puisse toujours être question d’un travail d’ampleur égale, de sorte qu’il n’est pas nécessaire pour cette entreprise de modifier quoi que ce soit dans la pratique ».[6]

  1. L'entreprise peut parfaitement choisir d'appliquer le régime « classique ». Cela signifie qu'une entreprise peut alterner entre le régime « classique » pour les mois où l’ampleur du travail des équipes successives est indiscutablement la même (suffisamment similaire) et le régime « bis » pour les mois où les équipes successives effectuent une ampleur de travail à ce point asymétrique qu’il ne puisse être raisonnablement considéré comme étant « un travail de même ampleur ». Dans le premier cas, l'entreprise pourra bénéficier de la dispense complète, tandis que dans le second cas, la dispense proportionnelle sera appliquée. Bien que cette possibilité de choix soit certainement avantageuse pour les entreprises dans la pratique, sa mise en œuvre ne simplifiera pas le calcul mensuel de la dispense.

Le nouveau régime « bis » est déclaré rétroactivement applicable aux « rémunérations qui ont été payées ou attribuées à partir du 1er janvier 2021 ». Selon l’article 368/1 CIR 1992 « l’action en restitution de précompte se prescrit par trois ans à compter du 1er janvier de l’année qui suit celle dont le millésime désigne l’exercice d’imposition ». Par conséquent, les entreprises ont jusqu’à la fin 2024 pour introduire une action en restitution fondée sur le régime « bis » pour les rémunérations payées depuis le 1er janvier 2021.

 

Et pour moi, dans tout ça ?

Le nouvel article 2755, §1/1 CIR92 offre une solution pragmatique et équitable pour l'avenir. Les entreprises qui ne bénéficient pas de la dispense de versement du précompte professionnel parce qu'elles estiment ne pas satisfaire à la condition d’un travail de même ampleur peuvent reconsidérer la situation à la lumière du régime « bis ».

La situation est quelque peu différente pour le passé. Le régime « bis » offre une solution claire aux entreprises pour lesquelles la condition du « travail de même ampleur » soulève des difficultés d’appréciation à l’occasion des contrôles portant sur les années 2021 et suivantes.

Les entreprises qui n'avaient pas appliqué la dispense de versement en raison de différences significatives dans l’ampleur du travail des équipes successives semblent également pouvoir appliquer le nouveau régime "bis". En principe, ces entreprises pourraient demander rétroactivement le bénéfice de la mesure proratisée. Il faudra toutefois voire comment l’administration fiscale accueillera de telles demandes. Et qu'en est-il des entreprises qui ont été rectifiées à l’issue d'un contrôle en raison de variations considérées trop importantes dans l’ampleur du travail des équipes successives ? Ces entreprises peuvent-elles demander maintenant l'application du régime « bis » par le biais d’une réclamation fiscale ? Et qu'en est-il des entreprises qui ont obtenu une décision anticipée sous le régime « classique » confirmant une possibilité de dispense à raison de certaines équipes mais en excluant d'autres en raison d'une asymétrie dans l’ampleur de travail ? Ces entreprises peuvent-elles maintenant (ou rétroactivement) appliquer le régime « bis » à ces autres équipes sans risquer que l'administration fiscale estime que la décision anticipée n'est pas respectée et entraîne ainsi la perte de la sécurité juridique qui y est associée ?

La modification législative offre aux entreprises qui organisent du travail en équipes plus d'options pour appliquer la mesure de dispense. Ces entreprises sont maintenant confrontées au défi d'exploiter au mieux ces possibilités.

 

AKD est à votre disposition pour toute assistance concernant cette matière. Si vous avez des questions concernant les mesures de dispenses de versement du précompte professionnel, n'hésitez pas à contacter Frédéricq Jacquet [fjacquet@akd.eu], Yannick Vandenplas [yvandenplas@akd.eu] ou votre interlocuteur habituel chez AKD.

 

Cette communication constitue une information générale et représente le point de vue de l'auteur.

Elle ne peut être considérée comme un avis ou un service de AKD et ni AKD ni l’auteur ne pourront être tenus responsables des éventuelles conséquences résultant de décisions prises par le lecteur en se basant sur le contenu de cette communication. Les experts d'AKD sont disponibles pour vous aider à comprendre les implications fiscales du travail en équipe ou de nuit, à ajuster vos processus de paie et de déclaration, à identifier vos obligations fiscales, et à évaluer l'éligibilité de votre entreprise au bénéfice de la mesure fiscale, y compris pour en réclamer le bénéfice de manière rétroactive.

 

[1] Article 2755 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92).

[2] Le régime d'exonération était déjà en vigueur pour les rémunérations versées ou accordées à partir du 1er juillet 2004.

[3] Pour pouvoir bénéficier de cette exemption, il est nécessaire de remplir des conditions supplémentaires. Par exemple, les travailleurs doivent avoir travaillé au minimum un tiers de leur temps en équipes durant le mois pour lequel l'avantage est demandé, et tous les travailleurs en équipes doivent recevoir une prime d'équipe.

[4] Projet de loi contenant diverses dispositions fiscales daté du 22 mars 2024, 3865/006, page 60.

[5] Ibid, page 63.

[6] Ibid.

Synthèse

  • L'article 2755 du Code des impôts sur les revenus de 1992 (CIR92) prévoit en faveur des entreprises qui organise du travail en équipe une dispense de versement du précompte professionnel correspondant à 22,8% des rémunérations imposables des travailleurs éligibles.
  • Pour être qualifiée entreprise où est organisé du travail en équipe, l'une des conditions est que les équipes doivent effectuer le même travail « quant à son ampleur ». Cette condition soulève régulièrement des divergences d'interprétation entre les contribuables (qui considèrent que l’ampleur du travail doit être similaire) et l'administration fiscale (qui requiert une ampleur de travail identique).
  • La loi du 2 mai 2024 portant des dispositions fiscales diverses (FR | NL) introduit un régime "bis" qui élimine cette difficulté en rendant possible l’application au prorata de la dispense de versement du précompte professionnel en faveur des entreprises où le travail en équipe est réparti de manière asymétrique entre les équipes successives.
  • Cette modification législative permet à davantage d'entreprises qui organisent du travail en équipe de bénéficier de l’incitant fiscal, mais soulève de nombreuses questions.

 

Contexte de la modification légale

Les entreprises qui organisent du travail en équipe et qui attribuent une prime d'équipe bénéficient d'une dispense de versement au Trésor d'une partie précompte professionnel retenu sur les rémunérations des travailleurs concernés.[1] Cette mesure de soutient fêtera bientôt ses vingt ans.[2]

Au fil des ans, cette mesure a gagné en importance. À l'origine, elle s’élevait à 1% des rémunérations imposables des travailleurs en équipes admissibles. Ce pourcentage a depuis été régulièrement augmenté et s’élève actuellement à 22,8%.

Les rapports de la Cour des comptes de 2019 et de 2023 ont souligné l’inflation significative des coûts annuels pour l'État belge, ainsi qu’un manque de maîtrise des coûts et le déficit de contrôles fiscaux ciblés. La Cour des comptes a recommandé de clarifier dans la loi la notion de travail en équipe car le flou du concept engendre de nombreuses discussions durant les contrôles fiscaux et est une source d’incertitude juridique pour les contribuables.

Cependant, lors de l'adoption de la loi du 28 mars 2022, qui a profondément réécrit l'article 2755 CIR92, l'occasion de clarifier la notion de travail en équipe n'a pas été saisie, en raison d’un manque de consensus politique sur la manière de le faire dans le respect de la neutralité budgétaire et sans limiter considérablement les possibilités d'application de la mesure de soutien.

Les litiges consécutifs aux interprétations divergentes entre les contribuables (interprétation « large ») et l'administration fiscale (interprétation « stricte » ou « littérale ») sont de plus en plus nombreux. Un tel litige a conduit à une décision de la Cour constitutionnelle le 8 février 2024 sur question préjudicielle de la Cour de cassation. Cette décision confirme que l'interprétation stricte adoptée par l'administration fiscale n'est pas contraire à la Constitution, ce qui signifie qu'elle est admissible et ne doit pas être rejetée. Cependant, cela ne signifie pas que cette interprétation stricte doive nécessairement prévaloir, car une autre interprétation (l'interprétation large) n'est pas exclue.

Il appartient maintenant à la Cour de cassation de décider si l'interprétation large (soutenue par les contribuables et admise par la Cour d'appel d'Anvers) constitue une application correcte de la loi fiscale.

Cette décision de la Cour constitutionnelle a suscité de vives inquiétudes auprès des employeurs qui organisent du travail en équipe et pour qui la mesure de soutien est essentielle afin de préserver leur compétitivité. Ces entreprises craignent en effet que l'administration fiscale se renforce dans l’idée sur base de cette décision de la Cour constitutionnelle d’appliquer les dispositions légales à la lettre, à tel point que cela aboutirait à des rejets disproportionnés même auprès des entreprises dans lesquelles il est indéniablement question de travail en équipe.  

Dans ce contexte, le gouvernement a pris l'initiative d'introduire un régime temporaire "bis". Ce régime "bis" vise à fournir une solution aux employeurs qui sont désireux de bénéficier de la mesure de soutien mais chez qui le travail est réparti de manière asymétrique entre les équipes successives. Une telle situation entraînerait en effet un rejet complet de la dispense de versement du précompte professionnel par l'administration fiscale lors des contrôles fiscaux si l’on devait appliquer l'interprétation stricte de la disposition légale.

 

La condition selon laquelle les équipes doivent effectuer le même travail quant à son ampleur conduit régulièrement à des conflits entre les contribuables et l'administration fiscale.

Les conditions pour être considéré comme une entreprise qui organise du travail en équipe semblent à première vue relativement simples :[3]

  1. Le travail est effectué en au moins deux équipes comprenant au moins deux travailleurs ;
  2. Les équipes effectuent le même travail « tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur » ;
  3. Les équipes se succèdent sans interruption dans le courant de la journée, avec une tolérance pour une interruption maximale de 15 minutes entre deux équipes consécutives ;
  4. Il n'y a pas de chevauchement de plus d'un quart de leur tâches journalières entre les équipes successives.

Ces conditions en apparence simples ont cependant été l'objet de plusieurs modifications législatives, de circulaires administratives, d'une FAQ publiée et de plusieurs décisions des cours et tribunaux ces dernières années. En particulier, la deuxième condition, selon laquelle les équipes doivent effectuer le même travail « tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur », constitue un point de litige entre l'administration fiscale et le contribuable. Dans de nombreux cas, l'administration fiscale adoptait une lecture stricte de la disposition légale, affirmant notamment que l’ampleur de travail devait être identique et non simplement suffisamment comparable. Cela résultait régulièrement dans des rejets lors des contrôles fiscaux.

L’affaire concernant un exploitant de bus de transport en commun et de transport scolaire de la Société flamande de transport public (De Lijn) illustre précisément la problématique d'interprétation de la notion « travail de même ampleur » des équipes successives.

Cette entreprise appliquait la dispense de versement du précompte professionnel relative aux rémunérations des chauffeurs. La Cour d'appel d'Anvers a pris en compte la durée de travail par équipe comme critère pour évaluer si l’ampleur de travail était la même (Anvers, le 19 janvier 2021, arrêt final) :  « Ainsi, le volume des services de bus peut être mesuré en fonction de la durée totale travaillée quotidiennement par une équipe. Lorsqu'il est ainsi établi que l'équipe du matin travaille trois heures de plus au total que l'équipe de l'après-midi/du soir, le volume n'est pas comparable ». La Cour a constaté que seules certaines lignes satisfaisaient à ce critère pour ouvrir le droit à la mesure de soutien.

 

En résumé, la Cour d'appel d'Anvers affirme qu'il suffit que la durée totale travaillée quotidiennement par les équipes soit comparable pour satisfaire à la condition de « travail de même ampleur ». Dans ce cas, la dispense de versement du précompte professionnelle doit être accordée.

Cependant, l'affaire n'en est pas restée là. L’état belge a introduit un pourvoi en cassation en soutenant que la Cour d’appel faisait une application erronée de la loi fiscale en admettant un travail d’ampleur « comparable » (et non identique) alors que la loi stipule que les équipes doivent faire le « même » travail. La Cour de cassation a dans ce contexte décidé de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle pour vérifier si l’interprétation stricte (littérale, « même signifiant « identique » et non pas « comparable ») est discriminatoire. (Cassation, le 31 mars 2024, arrêt intermédiaire) :

« L'article 275/5 du CIR92 viole-t-il le principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination en ce que les entreprises (…) où les équipes successives font le même travail tant en ce qui concerne son objet qu’en ce qui concerne son ampleur (…) peuvent bénéficier de la dispense, alors que les entreprises dont les équipes effectuent un travail dont l’ampleur est comparable et répondent pour le reste aux mêmes conditions ne peuvent pas (…) bénéficier de la dispense » ?

La Cour constitutionnelle a jugé le 8 février 2024 que l'interprétation stricte de la loi, à savoir le volume de travail identique, créait une discrimination justifiée et acceptable compte tenu de l'objectif de cette mesure et de son impact budgétaire. Cela signifie qu'une interprétation stricte (identique), comme soutenue par l'administration fiscale, n'est pas contraire à la Constitution. Cependant, cela ne signifie pas que l'interprétation plus large (suffisamment similaire), comme adoptée par la Cour d'appel, ne serait pas acceptable.

Concrètement, la Cour de cassation devra maintenant décider si l'interprétation plus large, telle qu’appliquée par la Cour d'appel dans cette affaire, était conforme à la loi.

Cette décision de la Cour constitutionnelle a provoqué une grande inquiétude chez tous les contribuables ayant actuellement des dossiers ouverts concernant le travail en équipe ou souhaitant bénéficier de l'exonération pour le travail en équipe. Comme l'a souligné le ministre des Finances lui-même, cela "a souligné cette incertitude et a menacé de miner complètement l'application du régime."

 

Le nouveau régime "bis" offre une solution sous forme d'application pro rata de la mesure de dispense

Afin d'offrir une certaine sécurité juridique aux entreprises souhaitant bénéficier de ce régime et de maintenir la compétitivité de la Belgique, le législateur a inséré un nouveau paragraphe 1/1 à l'article 2755 CIR92.

Cependant, il est regrettable que cette modification législative ne résolve pas définitivement tous les problèmes d'interprétation. Ainsi, la condition selon laquelle les équipes successives doivent effectuer le même travail « quant à son objet » peut encore conduire à des litiges et à des interprétations divergentes. Une réforme complète de la mesure fiscale sera pour la prochaine législature :

« Idéalement, une réforme de la dispense de versement du précompte professionnel pour travail en équipe devrait être élaborée par le gouvernement à court terme. En raison du temps limité qui reste jusqu’au terme de la présente législature, une telle réforme est irréalisable endéans le temps qui est encore imparti au présent gouvernement. »[4]

En ce qui concerne la condition de travail de même ampleur, la modification législative donne aux entreprises la possibilité de choisir un régime « bis » lorsque l’ampleur du travail est répartie de manière asymétrique entre les équipes successives :

  1. Les entreprises peuvent appliquer la dispense même si l’ampleur du travail des équipes successives n’est pas égale. Ainsi, l'exigence d’un « travail de même ampleur » n'implique pas nécessairement un volume de travail « identique ». L'asymétrie du volume de travail est admise et intégrée dans les règles de calcul de la dispense comme suit :
  1. Le montant de la dispense est calculé sur le total des rémunérations des travailleurs en équipe selon le taux de 22,8 % ;
  2. Ensuite, pour chaque jour de travail en équipe dans ce mois, l’on détermine l’écart en ampleur du travail des équipes qui se succèdent en fonction de l'équipe ayant la plus faible ampleur de travail (A), ainsi que l’ampleur total de travail effectué par les équipes successives (B) ;
  3. L'écart d’ampleur du travail pour ce mois est ensuite déterminé par le rapport A/B.
  4. Le montant ayant été obtenu à la première étape (voir 2.a.) est réduit par le pourcentage obtenu à la troisième étape.

Cela signifie qu'un nouveau régime « bis » de dispense est créé, avec une approche proportionnelle, lequel coexiste avec le régime « tout ou rien » que l’on connaissait jusqu’à présent et qui demeure applicable.

  1. Il ressort des travaux parlementaires qu’il ne peut être question de travail en équipe que s’il y a une certaine mesure de collaboration pour l’exécution du même travail.[5] Les travailleurs qui font ensemble le même travail en tant qu’équipe ne devrait pas simplement être répartis en plus petites équipes dans le but de maximalisation de la dispense de versement de précompte professionnel pour travail en équipe. Une répartition artificielle d'un groupe de travailleurs en plus petites équipes avec pour but de maximaliser la dispense pourrait même être considérée comme un abus fiscal.
  1. Cette modification législative ne constitue pas une interprétation de la disposition existante (qui reste inchangée), mais introduit un régime « bis » qui s'appliquera aux rémunérations payées ou attribuées jusqu'au 31 décembre 2026. Ce régime « bis » (temporaire) n'implique donc pas implicitement une confirmation ou infirmation de l'interprétation stricte de la condition de « travail de même ampleur » pour les entreprises qui n'optent pas pour ce nouveau régime « bis » :

« L'introduction de la modification reprise dans l'amendement n’a pas pour conséquence que la dispense pour travail en équipe en vigueur soit désormais évaluée de manière rigide. L’objectif n'a jamais été qu’une ampleur égale du travail doive, dans tous les cas, littéralement se manifester dans la réalité comme étant d’une ampleur identique. Il n’est par exemple pas exclu que si, dans un environnement de production, une équipe du matin de 100 travailleurs est suivie par une équipe de 95, il puisse toujours être question d’un travail d’ampleur égale, de sorte qu’il n’est pas nécessaire pour cette entreprise de modifier quoi que ce soit dans la pratique ».[6]

  1. L'entreprise peut parfaitement choisir d'appliquer le régime « classique ». Cela signifie qu'une entreprise peut alterner entre le régime « classique » pour les mois où l’ampleur du travail des équipes successives est indiscutablement la même (suffisamment similaire) et le régime « bis » pour les mois où les équipes successives effectuent une ampleur de travail à ce point asymétrique qu’il ne puisse être raisonnablement considéré comme étant « un travail de même ampleur ». Dans le premier cas, l'entreprise pourra bénéficier de la dispense complète, tandis que dans le second cas, la dispense proportionnelle sera appliquée. Bien que cette possibilité de choix soit certainement avantageuse pour les entreprises dans la pratique, sa mise en œuvre ne simplifiera pas le calcul mensuel de la dispense.

Le nouveau régime « bis » est déclaré rétroactivement applicable aux « rémunérations qui ont été payées ou attribuées à partir du 1er janvier 2021 ». Selon l’article 368/1 CIR 1992 « l’action en restitution de précompte se prescrit par trois ans à compter du 1er janvier de l’année qui suit celle dont le millésime désigne l’exercice d’imposition ». Par conséquent, les entreprises ont jusqu’à la fin 2024 pour introduire une action en restitution fondée sur le régime « bis » pour les rémunérations payées depuis le 1er janvier 2021.

 

Et pour moi, dans tout ça ?

Le nouvel article 2755, §1/1 CIR92 offre une solution pragmatique et équitable pour l'avenir. Les entreprises qui ne bénéficient pas de la dispense de versement du précompte professionnel parce qu'elles estiment ne pas satisfaire à la condition d’un travail de même ampleur peuvent reconsidérer la situation à la lumière du régime « bis ».

La situation est quelque peu différente pour le passé. Le régime « bis » offre une solution claire aux entreprises pour lesquelles la condition du « travail de même ampleur » soulève des difficultés d’appréciation à l’occasion des contrôles portant sur les années 2021 et suivantes.

Les entreprises qui n'avaient pas appliqué la dispense de versement en raison de différences significatives dans l’ampleur du travail des équipes successives semblent également pouvoir appliquer le nouveau régime "bis". En principe, ces entreprises pourraient demander rétroactivement le bénéfice de la mesure proratisée. Il faudra toutefois voire comment l’administration fiscale accueillera de telles demandes. Et qu'en est-il des entreprises qui ont été rectifiées à l’issue d'un contrôle en raison de variations considérées trop importantes dans l’ampleur du travail des équipes successives ? Ces entreprises peuvent-elles demander maintenant l'application du régime « bis » par le biais d’une réclamation fiscale ? Et qu'en est-il des entreprises qui ont obtenu une décision anticipée sous le régime « classique » confirmant une possibilité de dispense à raison de certaines équipes mais en excluant d'autres en raison d'une asymétrie dans l’ampleur de travail ? Ces entreprises peuvent-elles maintenant (ou rétroactivement) appliquer le régime « bis » à ces autres équipes sans risquer que l'administration fiscale estime que la décision anticipée n'est pas respectée et entraîne ainsi la perte de la sécurité juridique qui y est associée ?

La modification législative offre aux entreprises qui organisent du travail en équipes plus d'options pour appliquer la mesure de dispense. Ces entreprises sont maintenant confrontées au défi d'exploiter au mieux ces possibilités.

 

AKD est à votre disposition pour toute assistance concernant cette matière. Si vous avez des questions concernant les mesures de dispenses de versement du précompte professionnel, n'hésitez pas à contacter Frédéricq Jacquet [fjacquet@akd.eu], Yannick Vandenplas [yvandenplas@akd.eu] ou votre interlocuteur habituel chez AKD.

 

Cette communication constitue une information générale et représente le point de vue de l'auteur.

Elle ne peut être considérée comme un avis ou un service de AKD et ni AKD ni l’auteur ne pourront être tenus responsables des éventuelles conséquences résultant de décisions prises par le lecteur en se basant sur le contenu de cette communication. Les experts d'AKD sont disponibles pour vous aider à comprendre les implications fiscales du travail en équipe ou de nuit, à ajuster vos processus de paie et de déclaration, à identifier vos obligations fiscales, et à évaluer l'éligibilité de votre entreprise au bénéfice de la mesure fiscale, y compris pour en réclamer le bénéfice de manière rétroactive.

 

[1] Article 2755 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92).

[2] Le régime d'exonération était déjà en vigueur pour les rémunérations versées ou accordées à partir du 1er juillet 2004.

[3] Pour pouvoir bénéficier de cette exemption, il est nécessaire de remplir des conditions supplémentaires. Par exemple, les travailleurs doivent avoir travaillé au minimum un tiers de leur temps en équipes durant le mois pour lequel l'avantage est demandé, et tous les travailleurs en équipes doivent recevoir une prime d'équipe.

[4] Projet de loi contenant diverses dispositions fiscales daté du 22 mars 2024, 3865/006, page 60.

[5] Ibid, page 63.

[6] Ibid.

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